« Le corps fantôme de la douleur chronique aiguë, c’est un corps plongé dans une intensité, un excès de réel générateur d’une angoisse qui me fait sinon crier, du moins parler. La douleur est une souffrance sans langage ».
Ainsi Esther concluait-elle son article Tu n’as pas ce qu’il faut pour te porter, publié en décembre dernier, lequel a suscité de nombreux commentaires, comme souvent (grâce au « trampoline collectif géant » ! Encore une expression d’Esther qui me plaît beaucoup). A l’un d’entre eux, Esther précisait ceci : « Écrire, c’est bégayer« .
Au même moment, à l’époque, je découvrais avec enthousiasme la plume de Guérasim Luca et, notamment, le poème Passionnément qui faisait écho, à mon sens, aux paroles d’Esther – non pas sur le fonds (le poème de Luca est une déclaration d’amour… quoique… au moment où j’écris ces lignes, je n’en suis pas si sûre… on pourrait peut-être trouver des correspondances entre les deux thèmes mais c’est une autre histoire – non pas sur le fonds donc mais sur cette idée de bégaiement, de difficultés à traduire les choses. Et en l’espèce, comment dire la douleur ? Comment les mots, piètres outils, peuvent-ils la traduire ? Esther prétend « chercher [s]es mots »… On pourrait croire qu’elle s’adonne-là à une sorte de coquetterie, compte tenu de la qualité de son écriture. Mais je ne crois pas… Il s’agit d’une interrogation plus vaste, plus profonde autour de l’écriture, du langage, de la difficulté d’écrire… Loin de moi l’idée d’épuiser cette épineuse question – je n’en ai ni les compétences ni l’intention.
Aussi est-il temps de laisser la parole à Guérasim Luca, à travers les premières lignes de son poème Passionnément (à voir et à écouter, ici…) – là est mon unique dessein… Une promesse à Esther…
Extraits de Passionnément de Ghérasim Luca in Le chant de la carpe, Éditions José Corti, 1986. Première édition, Le Soleil Noir, 1973
Quelques ressources sur Ghérasim Luca (1913 – 1993)
La page des Éditions José Corti
Une page de l’Ens de Lyon intitulée Le corps hors du corps
Le récital-télévisuel de Raoul Sangla, Comment s’en sortir sans sortir
Bonjour Andrea, quelle émotion de te lire. De converser avec toi, de me trouver non pas magnifiée par ce que tu dis de mes écrits, mais augmentée par la manière dont tu les enrichis . Avec tes mots, ta fine compréhension des choses (et non, il n’y a pas de coquetterie dans ce que j’écris sur les mots que je cherche^^), et ce poème de Luca que je te suis infiniment reconnaissante de m’avoir fait découvrir. Ses écrits font résonner une corde profonde, qui – je crois- traverse tous ceux qui essaient de donner un corps à leurs mots, oui. Merci aussi des liens au bas de ton billet, les croisements sont le terreau de l’imaginaire 🙂
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Bonjour Esther,
Oh, comme j’aimerais avoir ta spontanéité à répondre !
J’ai bien tardé à tenir ma promesse pour des raisons… qui n’ont pas lieu d’être ici. Sauf peut-être celle-ci : l’émotion éprouvée en décembre devant les mots de Luca a laissé place à autre chose que je ne peux définir, pour l’instant. C’est pourquoi j’ai hésité à publier son poème. Ce que je ressens aujourd’hui est de l’ordre de ce qu’écrit Maupassant dans Le Horla, sur les humeurs changeantes…
Mais tes mots me rassurent… Merci tout plein ! Finalement, j’ai bien fait de partager ce poème assez déstabilisant…
🙂
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Mais justement, ce qui est merveilleux dans ta réponse, c’est qu’elle arrive en ayant pris son temps ; elle revient chargée des trouvailles que tu as amassées en prenant tes chemins de traverse… et cette lente sédimentation de ce que tu avais à dire s’expérimente pour chacun dans des rythmes qui nous sont propres. SI je te disais que cette fameuse spontanéité m’encombre parfois ? 😉 Comme tu le dis, nous marchons tous en équilibre instable sur les mots. Merci des tiens, qui en faisant « contrepoids », me stabilisent et rassurent à leur tour 🙂
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Oui, ton idée de cheminement me sied bien (surtout dans la lenteur, en ce qui me concerne !) 🙂
Merci pour cet échange, Esther.
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😉
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Luca m’a fait penser à ce poème d’Aragon tiré de son recueil « Le Fou d’Elsa », je te le pose ici :
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Il y a des choses que je ne dis a Personne Alors
Elles ne font de mal à personne Mais
Le malheur c’est
Que moi
Le malheur le malheur c’est
Que moi ces choses je les sais
Il y a des choses qui me rongent La nuit
Par exemple des choses comme
Comment dire comment des choses comme des songes
Et le malheur c’est que ce ne sont pas du tout des songes
Il y a des choses qui me sont tout à fait
Mais tout à fait insupportables même si
Je n’en dis rien même si je n’en
Dis rien comprenez comprenez moi bien
Alors ça vous parfois ça vous étouffe
Regardez regardez moi bien
Regardez ma bouche
Qui s’ouvre et ferme et ne dit rien
Penser seulement d’autre chose
Songer à voix haute et de moi
Mots sortent de quoi je m’étonne
Qui ne font de mal à personne
Au lieu de quoi j’ai peur de moi
De cette chose en moi qui parle
Je sais bien qu’il ne le faut pas
Mais que voulez-vous que j’y fasse
Ma bouche s’ouvre et l’âme est là
Qui palpite oiseau sur ma lèvre
O tout ce que je ne dis pas
Ce que je ne dis à personne
Le malheur c’est que cela sonne
Et cogne obstinément en moi
Le malheur c’est que c’est en moi
Même si n’en sait rien personne
Non laissez moi non laissez moi
Parfois je me le dis parfois
Il vaut mieux parler que se taire
Et puis je sens se dessécher
Ces mots de moi dans ma salive
C’est là le malheur pas le mien
Le malheur qui nous est commun
Épouvantes des autres hommes
Et qui donc t’eut donné la main
Étant donné ce que nous sommes
Pour peu pour peu que tu l’aies dit
Cela qui ne peut prendre forme
Cela qui t’habite et prend forme
Tout au moins qui est sur le point
Qu’écrase ton poing
Et les gens Que voulez-vous dire
Tu te sens comme tu te sens
Bête en face des gens Qu’étais-je
Qu’étais-je à dire Ah oui peut-être
Qu’il fait beau qu’il va pleuvoir qu’il faut qu’on aille
Où donc Même cela c’est trop
Et je les garde dans les dents
Ces mots de peur qu’ils signifient
Ne me regardez pas dedans
Qu’il fait beau cela vous suffit
Je peux bien dire qu’il fait beau
Même s’il pleut sur mon visage
Croire au soleil quand tombe l’eau
Les mots dans moi meurent si fort
Qui si fortement me meurtrissent
Les mots que je ne forme pas
Est-ce leur mort en moi qui mord
Le malheur c’est savoir de quoi
Je ne parle pas à la fois
Et de quoi cependant je parle
C’est en nous qu’il nous faut nous taire
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Merci !
Je prends le temps de m’en imprégner…
😉
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Je passe pour la première fois sur ce blog…et j’y découvre des merveilles
tes textes choisis…ce poème d’Aragon.
Sûr…je reviendrai !
Belle soirée à toi !
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Oui, le texte d’Aragon est vraiment puissant.
Je crois que je vais le mettre en valeur en lui consacrant un article.
Bon week-end !
😉
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